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Photo du rédacteurAnne Thériault

Enfant du voyage



La piqûre du voyage, je l’ai eue alors que j’étais encore dans le ventre de ma mère. Mon père était passionné par l’aviation; il a occupé des postes de direction chez Air Canada, Québecair et KLM pendant plus de 45 ans. Ma mère était agente aux réservations chez Air Canada lorsqu’elle a fait la connaissance de mon père, qui était alors son supérieur. Plus tard, elle a travaillé comme guide accompagnatrice pour des groupes de Français en visite au Canada et aux États-Unis.


Mon initiation au voyage, alors que je n’avais que quelques mois, n’a fait qu’amplifier ce qui coulait déjà dans mes veines. La Barbade, Antigua, la Jamaïque, la Floride… ces destinations faisaient partie de mon enfance de façon répétée.

Lorsque j’ai eu 16 ans, mes parents ont décidé de m’envoyer en France toute seule, chez des gens que ma mère avait rencontrés dans un de ses tours; je ne savais pas du tout où j’allais. Le couple était fort sympathique et ma mère se sentait en confiance. Ils avaient une fille et un garçon de mon âge.


Donc, premier vol international vers Paris et premier décalage horaire qui frappa comme une masse. Il s’est ensuivi un trajet de cinq heures en voiture avec Sandrine, la fille de ce couple, et son copain Éric, tous deux très gentils, mais que je ne connaissais pas. Aussi bien vous dire que j’étais d’une timidité maladive à cet âge. J’essayais de lutter contre le sommeil qui m’assommait pendant un trajet d’une chaleur suffocante (les Français n’aiment pas l’air conditionné et les bouchons routiers en France sont légendaires en été). Je continuais de répondre « Non, non merci. Ça va. » à Sandrine qui tentait aussi bien que mal de me mettre à l’aise et me disait avec son sourire rayonnant « Mais dors un peu… ». Je préférais lutter pour garder les yeux ouverts et suer sur la banquette arrière.

Tout ça sans savoir où j’allais aboutir… je regardais défiler les immeubles à appartements de Lyon, puis les petites maisons campagnardes… je me demandais bien où tout cela prendrait fin. Puis, enfin… cette longue allée bordée d’arbres, et cette superbe maison! Un gros berger allemand m’accueillit en remuant la queue, accompagné de Josiane, la maman, aussi souriante que sa fille. Juste derrière elle, Théo, les bras ouverts, qui s’exclamait : « Ah, la petite Canadienne! » En fait, un accueil des plus chaleureux et rassurant. Déjà, ce soir-là, je débordais d’affection pour eux; une affection et une amitié qui perdurent.


Le lendemain, c’est sur une immense vallée que les volets de ma fenêtre de chambre se sont ouverts. De la verdure à perte de vue et un ciel bleu azur. J’en avais le souffle coupé! On m’a fait visiter les lieux après un petit-déjeuner complet avec croissants et confiture maison de groseilles et de myrtilles cueillies par Josiane. La maison était grandiose, et le terrain se divisait en plusieurs plateaux; d’abord le jardin de fleurs, puis le jardin de légumes, ensuite l’enclos des lapins (surprise et coup de cœur immédiat), surplombant le terrain de tennis. Je ne me suis pas rendue au terrain de tennis, mon chemin s’est arrêté aux lapins mignons. J’ai eu peine à retenir mes larmes lorsque deux de ces adorables lapins se sont retrouvés sur la table au repas! En voyant mon expression paniquée, Théo, le papa, a eu pitié de sa petite Canadienne et Josiane m’a vite offert autre chose. Heureusement pour moi, ils ont trouvé ça bien mignon plutôt que très impoli, mais j’ai cessé d’aller voir les lapins après ce repas… et je refuse toujours d’en manger.


J’ai eu droit à tout un séjour : soirée festive dans un petit château chez un ami de Damien, le frère de Sandrine, âgé d’un an de plus que moi – bien entendu, petite idylle il y eut, quoique très brève! On parle ici d’un baiser ou deux sans plus. La vérité était que finalement, nous avions du mal à nous supporter. Moi, à charactère trop fort, lui, trop gâté… il aura tout de même été gentil avec moi à certains moments. Mais pauvre Théo qui espérait faire un mariage au Canada… ce fut loin d’être un match parfait!


Petites vacances sur la Côte d’Azur où la famille tenait une charmante villa. Conduire pour s’y rendre? Mais non! C’est à bord d’un petit Cessna privé que nous nous y sommes rendus, rien de moins! Une semaine formidable à Fréjus avec ses plages et ses seins nus… et au cas où vous vous poseriez la question, il était hors de question que la petite Canadienne prude fasse du monokini! Aussi bien m’enfoncer dans le sable et mourir!


Tous ces petits cafés en bord de mer, une visite à Nice, une sortie dans une boîte de nuit… assez pour que je ne veuille plus jamais rentrer chez moi! Et Sandrine… j’étais attachée à elle comme un petit chien qui suit son maître. Une véritable sœur, si belle que jamais elle ne passait inaperçue, avec un style que seules les Européennes s’approprient, et un sourire à faire fondre tous les cœurs.

J’ai même eu droit à mon premier cantaloup à vie – refusant d’y goûter chez moi, parce que oui, j’étais excessivement capricieuse avec la nourriture –, celui-ci ayant été rempli de porto! Je pense que si mes frères avaient vu ma tête, ils se seraient tordus de rire (mon goût infime pour l’alcool n’est apparu qu’à l’âge de 30 ans et encore, je ne bois quasi que du champagne dans les occasions spéciales). Éric, dont les parents nous recevaient, a gentiment et gaiement pris ma portion de porto et m’a remis mon cantaloup… que j’ai goûté pour la première fois. Et après avoir avalé les premières bouchées au goût de porto que je n’appréciais pas, j’ai trouvé qu’il était plutôt bon ce fruit!


Durant mon séjour, j’ai vu Monaco pour la première fois. Monaco, cette petite ville superbe et immaculée avec son palais royal et ses yachts époustouflants.

Le retour à la maison de Saint-Étienne ne s’est pas fait en Cessna, mais en petit cabriolet, à trois sur la banquette arrière conçue pour deux... Quatre heures, deux chicanes et un coup de soleil plus tard, j’étais bien heureuse de retrouver ma belle maison temporaire sur sa colline.


Là-bas, j’ai appris ce qu’étaient des « brugnons », qu’on appelle des nectarines chez nous. J’ai mangé des pains au chocolat encore chauds juste avant le lever du soleil, alors que nous sortions d’une boîte de nuit. La boulangerie étant fermée, il fallait passer par-derrière et sonner. On nous donnait alors les « extras ». J’ai appris ce qu’était « rouler une pelle » (le fameux « French kiss ») – bien à mes dépens, j’en conviens! J’ai découvert les fraises Tagada – ma friandise préférée! J’ai fait fonctionner mes neurones pour calculer la différence entre le franc et le dollar (le franc n’étant pas encore converti en euro).


Ce voyage m’a laissée ébahie, à la fois déstabilisée et complètement émerveillée. Comme si un nouveau monde s’offrait à moi. Et je suis tombée sous le charme de ce pays enchanteur.

Moins de deux ans plus tard, à l’aube de mes dix-huit ans, c’est au sein de Québecair que j’ai commencé ma carrière d’agente de bord. Un cheminement qui, pour moi, était d’un naturel flagrant. Vous dire à quel point j’étais passionnée par ce métier! Il n’y avait pas de vol trop long ou de départ trop tôt. Il n’y avait pas de passagers trop désagréables ou trop intoxiqués (pourtant, il y en avait!). Mais rien ne me dérangeait. J’aimais tellement ce métier que c’était comme si un bouclier me protégeait.


Il a fallu peu de temps pour que je devienne superviseure de vol. Être agente de bord était une seconde nature pour moi. Heureusement, j’ai eu la chance d’être agente de bord alors que ce métier voulait encore dire quelque chose. Les règlements sur le port de l’uniforme étaient très sévères : on y décrivait jusqu’à la couleur du rouge à lèvres et du vernis à ongles permise, la coiffure et les boucles d’oreilles à porter. Et que dire du port de talons hauts obligatoire ou de la chique de gomme à mâcher interdite : renvoi immédiat! À cette époque, les agents de bord ne faisaient que travailler. S’asseoir pour lire (surtout sur les sièges passagers) ou prendre le temps de manger entraînait un avertissement sévère et pouvait être une cause de renvoi. Les standards étaient élevés et rigoureux, le service était impeccable. Faire un aller-retour quatre fois en cinq minutes pour un verre d’eau? Pas de problème, et avec le sourire svp! (Attention, certaines compagnies aériennes offrent encore ce service impeccable.)


Mon métier, que ce soit avec Québecair, Intair ou Canada 3000, m’a mené un peu partout en Amérique, souvent dans le Sud (vous trouvez ça rude de rentrer de vos vacances l’hiver? Imaginez un peu la torture de partir le matin à -20 degrés Celsius, sortir 10 minutes dans les tropiques à +30 degrés Celsius et revenir dans le froid et la neige le jour même), quelques fois au Portugal et très souvent sur la Côte-Nord pour les vols « saute-mouton » ou « run de lait » comme on les appelait. À bord de petits avions à hélices, j’étais souvent seule pour assurer la sécurité et le service, mais j’avoue que c’était de loin mes vols préférés.

J’ai dormi dans toutes sortes d’hôtels et de motels… Quand on est dans un coin perdu de la Côte-Nord, parfois il n’y a qu’un motel qui tient à peine debout, coquerelles comprises. Pas toujours « glamour » et certes pas ce que l’on pouvait voir dans l’émission télévisée « Pan Am », mais non moins excitant.

J’ai aimé ce métier jusqu’à m’abîmer la santé et les oreilles. J’ai volé alors que j’étais malade – gastro ou rhume. Toutes ces heures de vol accumulées avec des rhumes et des sinusites ont blessé mes tympans, c’est pourquoi j’ai dû prendre une décision déchirante alors que les vols vers l’Europe s’offraient à moi. Après plus de six ans, donc, j’ai abandonné ce métier qui me passionnait tant. Ce métier, je l’ai encore dans la peau et mon deuil ne sera jamais tout à fait terminé.


Peu de temps après, une grande amie étant repartie chez elle en Belgique, j’ai eu le plaisir d’y faire deux visites pour passer du temps avec elle et ma petite filleule. J’ai donc découvert Bruxelles et sa Grand-Place impressionnante, le charme de Bruges avec ses canaux et ses adorables petits ponts, les boutiques d’Anvers, le grandiose Lac Léman à Évian et ses crêperies de folie où il ne faut pas compter les calories, la beauté merveilleuse des montagnes vertes en Haute-Savoie où une longue randonnée nous a fait passer au travers d’un énorme troupeau de vaches, cloche au cou, qui se laissaient gratter la tête, et Bréda en Hollande où j’ai visité un bar à haschich avec un long menu incompréhensible!

Puis, mes voyages ont ralenti jusqu’à ce que je parte travailler sur le navire Club Med 1 pendant un an, qui m’a permis de faire mes plus belles visites (Turquie, Portugal, Côte d’Azur, Italie et la Côte Amalfitaine, Grèce, Espagne, Malta, Corse, Sicile…) et d’y rencontrer celui qui est devenu mon conjoint. Depuis, j’ai suivi mon mari aux Bermudes pour y habiter près de trois ans, puis à Houston, au Texas, pendant un an, et à Philadelphie pendant plus de trois ans avant de rentrer au Québec. Un récit sur la vie dans ces endroits suivra éventuellement…

Nos voyages nous ont conduits en France pour voir la famille de mon époux – et quel périple depuis les Bermudes : un vol vers Londres (en première classe, grâce à un agent de bord qui aimait bien mon mari), un taxi en direction de la gare de train pour l’Eurostar vers Paris, et enfin, changement de train à la gare de Paris pour le TGV vers Lyon. Plus de 20 heures de voyage avec une puce de deux ans et demi qui a suivi comme une championne malgré une amygdalite. De toute évidence, ma fille a hérité du gène familial!

J’ai visité des îles à quelques reprises (vacances au soleil obligent) : les îles Turques-et-Caïques, le Venezuela, la République dominicaine, Cuba, la Barbade, Sainte-Lucie, Porto Rico… Entre le navire du Club Med dans les Caraïbes qui nous a fait voir des endroits paradisiaques et nos voyages personnels, nous avons eu la chance inouïe de contempler certaines des plus belles plages au monde, mettant la barre très haute pour les prochains voyages.

Durant un long week-end à Cannes, nous sommes allés à son festival tant convoité, sur invitation de la famille Rothschild (Mouton Cadet) pour un séjour des plus luxueux et « jet-set », qui comprenait une suite immense à l’hôtel Le Majestic (la salle de bain était aussi grande que mon premier appartement) donnant sur la mer… Le lendemain, ancré juste devant notre chambre : le Club Med 1! Avouez que c’est un bel adon…

Malgré toutes ces destinations rêvées, je n’ai encore rien vu. Reste l’Afrique, l’Australie où ma fille rêve d’aller, l’Irlande, la Polynésie… je suis encore jeune, ma vie ne s’arrête pas ici! En attendant, j’écoute mes amies raconter leurs voyages avec intérêt et parfois envie. Ah! Si seulement voyager était gratuit!


Je fais ce souhait à vous, chers amis voyageurs : puissiez-vous continuer à découvrir le monde en toute sécurité et à partager vos aventures! Safe travels!


Note : Si les blogs de voyage vous intéressent, je vous suggère d’aller lire celui de mon amie et collègue indispensable, Lyne Boisvert.


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