C’est à l’âge de douze ans que mes parents m’envoient dans un camp d’été équestre en Ontario, loin de s’imaginer que mon amour pour les chevaux s’y développera, malgré le fait que je suis déjà une grande amoureuse des animaux. Cependant, à l’époque de mon adolescence, mes parents ayant quatre enfants et déjà deux petits-enfants, il était hors de question de me payer des cours d’équitation réguliers ni de faire le trajet de Montréal à Mascouche. C’est donc à l’âge de dix-sept ans, après avoir amassé assez d’argent que, munie de mon permis de conduire et conduisant la voiture de mes parents, je commence à fréquenter les écuries. Une petite randonnée ici, un petit cours là. Je réussis donc à m’entraîner à l’équitation pendant quelques années, mais cette activité n’étant pas très accessible à une citadine de cette époque, ce n’est qu’à l’âge de trente-cinq ans que je remonte en selle alors que j’habite aux Bermudes avec mon mari et notre fille.
J’ai la chance inouïe de monter quelques fois par semaine et d’être même une guide pour emmener les touristes en randonnée sur la plage, alors que ma puce est à la petite école (ou à la garderie éducative, si vous préférez) le matin. Lorsque nous déménageons au Texas, je peux enfin monter plusieurs fois par semaine au ranch qui se trouve à quelques minutes de la maison. J’y adopte même Simba, un magnifique palomino avec lequel je développe une relation de confiance et d’amour. Un cheval accidenté qui n’a aucune valeur financière, mais possède toute la bonté et la volonté d’un bon cheval de randonnée. Je le préfère à la jument arabe fougueuse, un ancien cheval de course qui atteint une vitesse vertigineuse au galop. Quoique ce soit bien amusant d’atteindre une telle vitesse à cheval, je me sens plus en confiance avec Simba.
Je monte uniquement à titre récréatif. Bien sûr, je m’adonne au galop et parfois même aux sauts (des troncs d’arbres, des rivières), mais jamais à un niveau sportif et encore moins à un niveau compétitif. J’aime être à cheval et la liberté que cela me procure, j’aime ce contact avec une bête à la fois si douce et si puissante.
C’est donc aux Bermudes que j’initie ma fille à l’équitation, dès l’âge de dix-huit mois. Trente minutes à cheval lui suffisent pour allumer cette passion qui, depuis, brûle en elle. Seulement trente minutes à dos de ce poney bai et puis « Encore, maman, encore! ». Le dos droit, les mains sur les rênes, ses petits pieds bien placés dans les étriers… la propriétaire sort du bureau pour venir me dire « She’s a natural. You’re in trouble! ». Elle-même a acheté l’écurie pour assouvir la passion équestre de sa fille. Un sport de riches? Dans certains cas, oui, mais pour plusieurs, il s’agit d’un sport de passion pour lequel les sacrifices financiers sont nombreux.
Il faut cependant attendre l’âge de cinq ans avant de commencer des cours, alors ma fille doit se contenter de petites randonnées occasionnelles avec maman. Heureusement, elle aussi a la chance de monter le merveilleux Simba.
Après notre déménagement à Philadelphie, c’est en cours privés dans une petite école d’équitation que son introduction réelle dans le monde équestre commence, en passant du brossage au curetage de sabots et de la manipulation de tout l’équipement équestre. C’est impressionnant de voir sa petite de cinq ans tenir la patte d’un animal considérablement plus gros qu’elle ou lui mettre une selle parfois plus lourde qu’elle, devant monter sur un petit banc pour être à la hauteur du dos du poney. Et tout cela, sans se plaindre une fois et en étant remplie d’une grande fierté.
Je suis encore loin de savoir que l’équitation prendra une place primordiale dans nos vies. Je me contente de regarder ma petite cavalière sur son poney, sûre d’elle, faisant tout ce que son instructeur lui demande de faire, jusqu’à laisser les rênes et mettre les bras en croix puis fermer les yeux pour se laisser porter par le poney, n’utilisant que ses petites jambes pour le guider. Et ce n’est pas sans retenir mon souffle que je la vois galoper pour la première fois. Il me faudra plusieurs années avant de pouvoir contrôler mon rythme cardiaque chaque fois qu’elle monte en selle. Car, croyez-moi, les parents équestres sont bien conscients des dangers que ce sport présente. Mais c’est par amour pour la passion de notre enfant que nous acceptons ce risque, non sans inquiétude. La crainte d’une chute est omniprésente, certes, mais la peur que notre enfant reçoive un coup de sabot en plein visage pendant le brossage ou, pire encore, qu’elle soit la victime d’une bonne ruée dans le box du cheval est tout aussi réelle. Les histoires d’horreur dans le monde équestre sont nombreuses… on essaie de ne pas trop s’y attarder et de prendre toutes les précautions nécessaires.
Alors pourquoi, puisque c’est un sport si coûteux et visiblement dangereux, nourrissons-nous cette passion chez notre enfant? Parce que c’est une passion qui est un véritable mode de vie. Une passion dont les cavalières ne peuvent se passer (j’emploie le féminin, car, au Québec, on retrouve beaucoup plus de filles en équitation et dans mon entourage, il s’agit surtout de cavalières – j’espère donc que les garçons ne m’en tiendront pas rigueur). Elles vous diront que l’odeur de l’écurie, celui du fumier de cheval, est la meilleure odeur qui existe. Elles y passeraient leurs journées et nuits entières. Parce que le cheval qu’elles montent – qu’il soit à elles, en demi-pension ou simplement le cheval du club utilisé pour les cours – est leur bébé. Parce que ces grosses bêtes majestueuses peuvent leur apprendre la persévérance, la confiance, la détermination, le respect, la patience, l’humilité, le contrôle de leurs émotions, et renforcer leur sens des responsabilités. Parce qu’à l’écurie, elles y trouvent une grande camaraderie avec les autres cavalières (non sans conflits occasionnels) et ce sentiment d’appartenance à une équipe qui partage la même passion.
L’écurie est un milieu sain à des niveaux physiques et psychiques. Le contact avec les chevaux leur est thérapeutique et devient nécessaire à leur bien-être. Même qu’une maman à l’écurie, effrayée par les chevaux, se laissera finalement amadouer et développera un lien d’affection pour le cheval de sa fille. Il est difficile de rester indifférent à ces bêtes presque magiques au regard inquisiteur et si profond.
Être la maman (ou le papa) d’une cavalière veut aussi dire passer bon nombre d’heures à l’écurie à attendre, aider, écouter, rassurer et consoler (tous les cours ne se passent pas comme elles le souhaitent et toutes les compétitions ne donnent pas les résultats voulus). C’est aussi accepter d’avoir une voiture sale et des bottes couvertes de boue, de combattre les mouches et les moustiques durant l’été et de combattre le froid humide des manèges intérieurs non chauffés l’hiver. C’est se lever aux petites heures de la nuit pour se rendre au lieu de compétition et y passer la journée à calmer l’anxiété de son enfant, faire le va-et-vient pour l’eau, la nourriture, la cravache oubliée et j’en passe. C’est observer à l’extérieur du manège en retenant son souffle, le cœur battant, pendant que sa cavalière préférée effectue son parcours. C’est aussi encourager les autres cavalières de l’équipe qui devient une véritable famille. C’est accepter de voir son enfant chuter en espérant que la chute ne sera ni fatale ni trop grave malgré quelques blessures. Aussi bien vous dire que votre cœur arrête à chaque chute… et je suis persuadée que ce sport est la cause principale de mes cheveux gris! Mais c'est aussi créer des liens d'amitié, partager des anecdotes et, par le fait même, développer une complicité avec les autres parents. C’est créer des liens avec l'équipe, les personnes travaillant à l’écurie, le coach et, évidemment, avec les chevaux. C'est passer un moment serein (malgré l'inquiétude qui règne toujours à l'arrière-plan) dans un endroit naturel et convivial. Et c'est inévitablement sentir le cheval!
C’est aussi apprendre le nom de tous les chevaux et leurs caractéristiques, entendre de longs discours sur tel ou tel cheval, telle technique, telle compétition, telle dépense (celle-là on l’entend souvent). Mais oui, il en faut de l’équipement et oui, la plupart de nos filles préfèrent dépenser pour du matériel d’équitation que de faire les boutiques tendance. C’est aussi avoir les nerfs assez durs pour dire non malgré toute la déception et la peine que cela engendre, car oui, encore une fois, l’équitation est un sport coûteux et toutes les cavalières n’ont pas les moyens d’avoir un cheval, le nombre de cours qu’elles aimeraient, ou de participer à toutes les compétitions.
Je vous entends déjà dire « l’équitation n’est pas un sport ». Ou encore « le cheval fait tout le travail ». En vérité, l’équitation est parmi les sports les plus dangereux. Saviez-vous qu’une personne ayant subi une chute à cheval aura priorité à l’urgence? Commotion cérébrale, traumatisme crânien, blessure à la colonne vertébrale, etc. Une chute à cheval peut trop souvent s’avérer catastrophique sinon fatale.
Pour ce qui est de l’aspect sportif, je vous dirai seulement d’essayer de monter et de contrôler un animal imprévisible et plus fort que vous, qui aime parfois faire à sa tête, car ils sont d’humeur changeante. Je ne vous parle pas là d’une randonnée à la queue leu leu dont les chevaux connaissent d’emblée le chemin et lors de laquelle ils vous font faire une visite guidée. Vous avez déjà vu un cheval refuser un saut? C’est le cavalier qui emmène le cheval à sauter et s’il manque de technique, se laisse distraire ou n’est pas assez énergique, le résultat peut être décevant, voire catastrophique. Un cheval peut décider de « prendre ses pattes à son coup » simplement parce qu’il a vu quelque chose qui ne lui plaisait pas (aussi banal qu’une fleur, par exemple). Très rares sont les cavalières qui ne sont pas en sueur à la fin d’un cours. Même en hiver alors que les parents sont frigorifiés, les cavalières ne montent qu’en chandail et terminent les joues rouges de chaleur.
Hélas, il me faut être honnête et mentionner que le monde équestre n’est pas toujours sain. En effet, tel que je l’ai mentionné plus haut, il s’agit aussi d’un sport pour gens richissimes et plusieurs niveaux sociaux se retrouvent à la même écurie. Cela engendre parfois de la jalousie, de la compétition (qui a le plus beau cheval, la plus belle selle, les bottes les plus chères, le plus de rubans après les compétitions, etc.) et de la méchanceté. Malgré une passion commune, toutes les personnes pratiquant ce sport ne sont pas nécessairement bienveillantes. Cela dit, nombreux sont les gens qui font de l’équitation pour ce que l’animal leur procure et non pour le prestige.
Alors, à tous ces parents qui accompagnent leur enfant dans cette passion et acceptent tout ce qui vient avec, et à nos passionné(e)s fini(e)s, je souhaite que ce sport fasse partie de leur vie encore longtemps, en toute quiétude et sécurité.
Pour terminer, je vous laisse sur ces quelques citations équestres :
« Parce qu’on ne renonce jamais à cette passion. Celle qui nous fait vivre et ressentir le bonheur… Être heureux à cheval, c’est être entre ciel et terre, à une hauteur qui n’existe pas. » – Jérôme Garcin
« Le cheval enseigne à l’homme la maîtrise de soi, et la faculté de s’introduire dans les pensées et les sensations d’un autre être vivant. » – Alois Podhajsky
« La passion équestre est cette impulsion spirituelle sans laquelle on ne franchira aucune des passes parfois désespérantes de difficultés, qui attendent l’écuyer toute son existence. Cet enthousiasme mêlé aux moments de doute témoigne de la découverte d’une partie inconnue de nous-mêmes et permet la mise à l’épreuve de réflexes et de moyens que nous mettons rarement en jeu dans la vie ordinaire. » – Michel Henriquet
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